Il était une fois, il y a très longtemps, au temps où le litre d’essence valait 1 franc et où le contrôle technique n’existait pas, un pauvre étudiant qui n’avait pour se déplacer qu’une vieille « 11 légère » en très mauvaise santé, tant en mécanique qu’en carrosserie.
Le père et la mère de ce jeune homme, estimant que ce véhicule était vraiment dangereux, lui demandaient avec insistance de s’en séparer rapidement. Et comme le jeune homme n’obtempérait pas, ils envoyèrent une méchante fée qui, d’un coup de sa baguette magique sur l’embiellage de la vielle « 11 légère », la tua net. Le jeune homme fut très triste de cette perte cruelle.
Mais il avait un camarade qui étudiait avec lui et dont le père possédait un cimetière où gisaient un grand nombre de cadavres d’Arondes, de P60 et autres Simca. En outre, il connaissait une bonne fée qui leur conseilla de se rendre en ce lieu lugubre et boueux munis de deux talismans : un bidon d’essence et une batterie bien chargée. Lorsqu’ils furent parvenus en ce sinistre endroit, la bonne fée leur désigna, du bout de sa baguette, une construction de tôle presque en ruine. Lorsqu’ils en ouvrirent la porte branlante ils aperçurent, dans la pénombre, une forme allongée sous une bâche poussiéreuse couverte de vieux pneus.
Alors la bonne fée toucha la bâche de sa baguette et la forme allongée se transforma en une belle princesse endormie: un roadster Singer de 1949. Elle avait été en partie déshabillée mais toute sa garde-robe était encore là. Il ne restait plus qu’à essayer de réveiller la belle endormie à l’aide des deux talismans dont les deux amis s’étaient munis. Ce qui fut fait et, miracle, la belle se réveilla aussitôt en ronronnant gentiment.
Mais la mauvaise fée n’avait pas dit son dernier mot. Elle jeta un sort sur le différentiel de la princesse qui se trouvait donc à nouveau vivante mais en restait tout de même paralysée.
Heureusement, la bonne fée, rendue furieuse par l’obstination de sa consœur, fit en sorte de faire réusiner les satellites et leur axe afin de rendre sa mobilité à la belle paralysée. Dès lors, comme c’était le printemps, le jeune homme et sa princesse firent souvent ensemble de longues promenades le long de la côte.
Mais la méchante fée, sans doute par dépit, se cachait toujours dans le groupe des curieux pour demander d’un ton ingénu : « C’est la même marque que les machines-à-coudre ? » ou bien parmi les copains avec un ton des plus ironiques : « Qu’est-ce qu’il est fort ce René, transformer une machine-à-coudre en bagnole, il faut le faire ! »
René Krumeich