Plaisirs et Tracas d’un Voyage en Auto Ancienne
La Seyne (83) Vendredi 5 juin 2015 :
C’est sur une suggestion de l’infatigable Marie Thé que 7 membres du CAAV, heureux possesseurs d’une « Avant 40 », s’étaient inscrits pour un circuit de 4 jours en Lozère devant boucler plus de 1000 bornes ; soit : Boero, Guasp, Krumeich, Mahé, Maurel, Roux, Scatena.
Le but étant de rejoindre « Les Vieux Volants du Gévaudan » pour sa 24ième édition du Tour de Lozère n’accueillant que ces vénérables autos d’avant guerre.
Comme prévu, dès 7h30 sur le parking « Carrefour Ollioules » se trouvent René et Anne Marie Krumeich venus dans leur puissante et imposante berline « Buick 8 » de 1931 ; Serge et Martine Mahé à l’aise dans leur à peine moins grande « Delahaye » 1936, enfin les Maurel père et fils embarqués dans leur fidèle cabriolet « Ford Model A » 1930. Peu avant Le Beausset nous récupérons Jo Boero et Nicou, montés eux dans le roadster « Ford Model A » 1931.
Mais dans le rond-point au dense trafic la Buick s’étouffe et s’arrête … Aïe !.. Questionnements, suppositions ; René sort du coffre le triangle de signalisation coincé sous un sac de chaussures ; les minutes passent, incitant les Krumeich a retourner vers Six Fours chercher leur mignon roadster blanc « Singer » ‘so british’ ; en disant nous retrouver par l’autoroute à l’heure du pique-nique.
On arrive en retard au Col de l’Ange où s’impatientent Marcel et Paule Guasp dans un 3ième « Ford Model A », celui-là carrossé en phaéton.
Venus du Moyen Var, après Aix nous attendent Serge, sa MTS et leur beau roadster « MG» british green ; bien sûr, à son habitude Marie T nous a déjà préparé sa délectable Pause Gourmande.
Et ça repart ; N7, Orgon, Avignon ; passé Remoulins le pique-nique se passe sur une aire ombragée de grands platanes bienvenus. Après maints coups de fil et la bouche pleine, on voit enfin arriver la « Singer » et pouvons savoir ce qui leur est advenu.
Au Beausset, René perturbé par la défaillante « Buick », en partant du rond-point est longtemps klaxonné au cul par un usager, presque à Ste Anne l’homme lui apprend que son coffre est ouvert et que triangle et sac de souliers sont restés sur le bas-côté… Merde !..
Repas néanmoins convivial, souvent questionnés par des voyageurs intéressés, ou par le vieil Allemand venu en voisin nous offrir une barquette de ses belles cerises en nous disant qu’il finira ses jours en Provence.
Le convoi repart, il fait très chaud ; garrigue et cultures sont écrasées de soleil ; pendant la halte carburant dans Alès un panneau affiche 32, 8°. On commence a grimper les reliefs des Cévennes ; après la Grand Combe c’est le Col de la Roche et ses 1200 m.. J’ai le gosier sec et m’arrête en tête au sommet devant la buvette. Comme un fait exprès, en coupant le contact deux « Ford » sur trois pètent dur, Pan !!.Pan !! le petit clébard part en hurlant de peur entre les jambes de sa patronne « Kaï, Kaï !!.. ».
Je crois que c’est avant le regroupement de Mende que, parodiant le Petit Poucet, par chance Sergio et MT peuvent récupérer d’abord un bondissant chapeau de roue, puis le cercle chromé de jante de la “Singer” semeuse d’enjoliveurs.
Nous ne sommes plus en Provence mais traversons maintenant les jolis paysages de hauts plateaux ; pâturages constellés de l’or des genêts en fleurs et de bosquets de conifères. Vers le soir c’est l’arrivée dans Aumont/Aubrac, Lozère (48) but de l’étape, où se trouvent déja Christian Roux, Adrienne et leur rare Coupé “Simca 8” 1939,en vacances dans la région. La bourgade de 1200 habitants et 1000 m. d’altitude abrite l’hôtel “Chez Camillou” au parking déja empli de 36 rutilantes et leurs équipages qui combleront les 37 chambres.
Hôtel vaste et nickel ; dans la salle a manger la plupart des convives ont comme leurs bagnoles, “pas mal de kilomètres au compteur “, mon Thierry en est le “caganèou”, en patois Toulonnais le “dernier-né”. Cela n’empêche pas tout ce monde a faire honneur à l’entrée, au boeuf bourguignon, au dessert et champagne.
Mais en prévision de demain il nous faut compléter les réservoirs, les Varois partent de nuit vers la pompe 24/24 de la supérette ouverte en banlieue. C’est sur son parking que les roues de la “Singer” tombent dans le piège nocturne du gros trou d’un arbre déraciné dont le rebord en béton arrache en partie l’échappement… Merde!!…bis
Consternation… ça commence a bien faire pour le compétent et gentil René….
Les membres présents du CAAV l’entourent, tout est fermé ; il est décidé d’aller demain chez le quincailler trouver de quoi faire une réparation provisoire.
Retour vers l’hôtel, mon compteur affiche 385 km.
Aumont /Aubrac (48), Samedi 6 juin 2015 :
Les organisateurs ont prévu un circuit de 157 km autour des Gorges du Tarn.
Petit déjeuner avalé les Varois se scindent en trois groupes ; René et Sergio travaillent sur les dégâts, Serge, Christian et Jo partent avec le long convoi, tandis que Marcel et les Maurel, n’aidant que moralement, se résolvent à partir avec un bon retard sur les autres participants.
Le road-book est très bien rédigé, néanmoins on se plante dans le carrefour d’un patelin perdu. Naviguant au pifomètre, puis sur les conseils d’un paysan, les deux “Ford” roulent sur d’étroites routes de la France profonde ; plateaux d’herbages et de bois où les seuls êtres vivants sont de placides vaches rousses. Il ne faudrait pas ‘tomber en carafe’ dans le secteur car le rassurant plateau/remorque est quelque part sur un autre itinéraire tout en ayant déja dégusté un casse-croûte…
Peu importe ; ces rallyes sont de vrais traquenards générateurs de bouées de lard autour des hanches !..
A deux bagnoles nous traversons de rares hameaux aux massifs habitats de granit, souvent coiffés de lauzes, avec linteaux de portes et fenêtres constitués d’un seul bloc épais. Ces hauts plateaux d’Aubrac sont réputés être parmi les lieux les plus froids de France, nécessitant ainsi de telles épaisseurs de murs.
Passé Marvejols nous retrouvons enfin le bon tracé et le convoi traçant son chemin à petite allure. Plus loin c’est la dure remontée vers le Causse de Sauveterre ; grands espaces libres aux herbages parsemés d’énormes blocs arrondis ayant survécu aux intempéries et à la fuite des siècles.
Descente différente, mais non moins difficile vers la rivière et Ste Enimie aux antiques maisons blotties le long du Tarn. L’étroite et haute falaise de calcaires ocres et gris donne passage à l’eau claire où pagaient paisiblement des kayaks jaunes.
La halte repas se passe non loin, dans le tout petit village de St Chély dont l’accès se fait par un tunnel coudé suivi d’un petit pont traversant le Tarn.
L’endroit est une merveille de pittoresque avec sa petite église aux pierres brutes non jointoyées, la placette et les vieilles demeures en font un ensemble bien différent d’autres lieux. Avec la diversité de ses régions aux paysages contrastés, on peut comprendre pourquoi la France est le premier pays touristique au monde ; Cocorico !!…
Encore un plein de carburant ; déréglée,cette bagnole est un vrai gouffre !…j’ m’en fous !.. (non pas vrai, m’en fous pas…).
Dans la salle d’auberge les Maurel sont à table avec Henri et Ida Durand venus avec leur roadster “Ford A” depuis Mende ; dans le temps avec Anny nous avions avec eux apprécié plusieurs grands rallyes lointains. Henri à maintenant 87 mais continue a fouetter ses 19 CV, mais moins loin… comme moi…
Repas terminé, il nous faut remonter l’altitude perdue par une interminable route en lacets pour atteindre le lieu-dit “Point Sublime” où la buvette nous aide a rafraîchir les gosiers secs et les moteurs chauds.
Retour vers l’écurie pour le long convoi espacé sur d’étroites routes tortueuses et vallonnées où nous essuyons la première courte ondée, mais suffisante pour que les tardifs de la capote se retrouvent cheveux ruisselants et pantalons blancs noircis par le siège mouillé. Sur le foirail d’Aumont/Aubrac la municipalité nous offre amuse-gueules et apéritifs, après quoi les Varois partent vers la supérette voir si le responsable voudrait prendre avec son assurance les frais causés sur la “Singer”; mais l’homme est absent pour le week-end. Affaire a suivre.
Les Varois vont alors prendre le repas du soir, à l’exception du père Maurel gorgé de nourritures et qui profite du répit pour rédiger ces notes de façon que mes neurones affaiblis se souviennent de ces bons moments.
Aumont/Aubrac (48) Dimanche 7 juin 2015 :
Grosse consommation hier de mon glouton cab déréglé ; avec René on tente de peaufiner un nouveau réglage ; les autres moteurs tournent déja, incitant ma MTS préférée a me houspiller “C’est maintenant que tu t’y mets ?.. Allez vite !..”
Départ vers Nasbinal en traversant d’autres herbages ponctués de vaches ou chevaux et des hameaux aux maisons de grosses pierres à l’aspect des dessins en BD d'”Obélix”
Halte et accueil casse-croûte dans le village de Merchastel ; sur les tréteaux ont été disposés les fromages, pain, vin, gâteaux et cochonailles du Gévaudan.
Plus loin, délaissant la grande fabrique dite “pour touristes Américains”, Mr Boeuf, l’organisateur nous dirige vers l’intéressante visite guidée et commentée d’un atelier fabriquant les authentiques réputés couteaux “Laguiole”. Longue explications du commentateur sur les méfaits des contrefaçons Made in Pakistan ou China. Dans le grand choix j’en achète un pour ma douce vestale restée au foyer.
Le repas du midi se prend au fin fond du Causse où, par une étroite route bosselée le long convoi arrive devant un ancien pastoral buron converti en restaurant.
La bâtisse aux murs de granit épais d’un mètre fut conçue pour y fabriquer le fromage ; elle a aujourd’hui du mal a contenir les quelques 80 bruyants convives compressés.
Au menu de l’aligot, le plat local, accompagné de saignantes tranches de viande rose à la peau juste rôtie à point. L’aligot est un filant mélange de purée / fromage dont le serveur étire la longue coulée qu’il coupe de sa spatule tendue à bout de bras.
Sous les grosses poutres, le son du CD d’un accordéon auvergnat est couvert par les décibels des mangeurs, plus intéressés de bouffe et d’anecdotes que d’harmonies musicales.
Mais j’ai du me planter dans mes notes, je crois que c’est aujour’hui et non hier que les décapotées se sont fait saucer par l’ondée, peu importe, on s’en fout !…
La fin du rallye approche ; avant le repas du soir, pendant l’apéritif chaque équipage reçoit des organisateurs une caissette de produits du terroir, plus un vrai et cher couteau “Laguiole”.
A table, à l’exception de deux ou trois ventres creux, les Varois regroupés renoncent au menu proposé ce soir, se contentant de coupes de fruits pour rincer leurs tubulures engorgées.
Re-plein de réservoir, sauf que, même contrôlé par les amis la pompe refuse ma Carte Bleue en indiquant “carte muette” ?.. Qu’es aco ??.. bon,mon gentil Thierry fait l’avance.
Aumont-Aubrac, Lundi 8 juin 2015
Ce matin il fait beau et frais, sur le parking de l’hôtel la plaisante vision des 36 “Avant 40” a diminué de moitié, les autres ayant regagné hier soir leurs pénates. Les Varois repartent vers le Sud,à l’exception de Christian et sa “Simca” restant encore un peu dans le secteur.
Retour par sensiblement le même tracé : Marvejols, Mende, Florac. Dans Alès c’est la halte carburant et achats pour le pique-nique, il ne fait plus frais, mais chaud.
Guidant le petit convoi, Serge et Martine nous arrêtent dans un bosquet du Nord de Nîmes qui n’a plus ni la verdure ni la fraîcheur de l’Aubrac.
En Camargue, après le repas, dans la très longue ligne droite avant Salon, on se serre à l’ombre maigre d’un arbre en attendant René parti chercher de l’eau dans une station-service.
Et ça repart, mais mon cab en queue de convoi ratatouille sur 500 m et finalement cale… Les autres sont déja loin et personne ne s’est aperçu de la panne… Meeerde !..ter
Arrétés sur la bande d’urgence, les camions nous frôlent à 100 à l’heure, les ondes de chaleur montent du goudron et de la culasse, comme sans doute de ma cervelle pleine de questions. Etincelle aux rupteurs ?..OK ; me revient alors en mémoire une panne survenue en été 74 sur ma “R16” neuve dans les montagnes du Rif marocain, où le bon Samaritain d’un Berliet jaune avait ôté son turban, l’avait mouillé de l’eau sortie d’un bidon et appliqué sur le carbu en surchauffe de ma Renault repartie, sympa…
Le “Vapor Lock” vaporisant l’essence nous a frappé de sa poche d’air obstructrice… Thierry me dit “Y’a un canal là derrière ” ; de fait l’eau à débit rapide court vers les rizières plus au Sud, j’y trempe mes chiffons tout en me déversant une casquette d’eau dans les cheveux.
En fin d’après midi et encore 130 bornes de la maison je commence à me faire vieux, (même si c’est le cas déja depuis belle lurette) ; puis le remède arabe fonctionne, le moteur tourne rond à nouveau. On repart non sans avoir retrouvé la manivelle tombée peu après sur la route, mais en se rappelant bien trop tard les lunettes de soleil oubliées par Thierry au bord du canal…
Père et fils roulent maintenant en silence, dans les côtes seulement attentifs à la frappe régulière des gros pistons du cabriolet. La canicule a un peu baissé avec les heures ; on se calme de nos émotions par un panaché glacé avalé à l’entrée d’Aix.
Un poète a dit ” des ans l’irréparable outrage ” mais il faut savoir que si Thierry n’est que de 59, par contre le cab est de 1930 et le père de 32, ces plus qu’octogénaires, ont droit à un peu d’indulgence..
Passé le Col de l’Ange et celui du Camp l’air littoral est meilleur, la “Ford” avale ces grimpettes en beauté et en 3ième; comme il se doit. Devant “Darty” d’Ollioules sonne un appel archi-ténu de MTS “André t’es où ??..” et ça ne passe plus…
Vers 20h15 ma vaillante bagnole entre enfin dans son box après avoir parcouru 1107 kilomètres et non sans avoir englouti ???… X litres d’essence (ferais le point plus tard )
En définitive cette bagnole restaurée en 80 a (presque) aussi bien roulé que lors des rallyes d’antan vers l’Ecosse du Nord, celui de Budapest en Europe centrale, ce circuit dans le Sud Tunisien, ou ceux de Corse, Sardaigne, Sicile et autres.
Mon gentil Thierry et le vieux cab m’ont permis d’encore profiter de quatre jours d’amitié et de bonheurs automobiles parmi des gens passionnés par le même hobby.
Comme le disait Laètitia Buonaparte ” Pourvou qué sa douré !…”
André MAUREL, La Seyne, le 11 Juin 2015