Je suis persuadé que si nos adhérents se sont inscrits au CAAV c’est que, comme moi, ils aiment les bagnoles. Notre club rassemble les gens, tous âges et milieux sociaux confondus ; qu’ils soient commerçants, militaires, cadres, ouvriers, retraités ou artisans, presque sûr que tous ont aimé les autos depuis leur jeunesse ; leur dénominateur commun étant l’amour, teinté de mélancolie, de toute ces mécaniques connues auparavant.
J’entre dans ce cas. Ma chère maman m’a eut dit que, portant son marmot dans ses bras, grande fut sa frustration d’entendre son lardon, montrant une bagnole de son petit index tendu, dire son premier mot : « Auto » plutôt que le sacro-saint « Maman » attendu ; c’est dire !…
Dans ce début des années 30 nous habitions à Toulon la Rue de la Chapelle du populeux et populaire quartier du Pont-du-Las. Au bas de cette rue, à l’angle avec l’Avenue du 15ièmeCorps, se tenait l’atelier de réparation de motos du gros Paulin Bettini. Son ouvrier, l’athlétique Roger Champion essayait les « Monet/Goyon », « Terrot », « Motobécane » ou autres marques disparues ; ma rue résonnant alors de sonores chapelets d’explosions et d’effluves de fumées de ricin brûlé.
En 43, les boys de l’Air Force mettront au tapis l’atelier de Paulin, le salon du coiffeur son voisin Ottaviani, qui en mourut, ainsi que la moitié des maisons de ma rue. Plus haut, au carrefour avec la Rue du Jeu de Paume se trouvait l’atelier Giovanonni de réparation de radiateurs d’autos ; il survécut aux bombardements et existe encore sous un autre nom. Le grand-père à l’accent italien prononcé avait monté cet atelier ; le fils puis le petit-fils lui succédèrent ; tous ont aligné sur leur trottoir les calandres et radiateurs réparés.
Les insignes de calandres des nombreuses marques étaient de beaux objets en émail, leurs formes aux couleurs et graphismes très variés m’attiraient.
Dans mon enfance beaucoup de mes autos miniatures en tôle peinte souffrirent de mon engouement pour ces belles calandres chromées, nickelées, voire en laiton, car sur mes jouets je dégrafais celles tenues par des petites languettes, pour les aligner le long du mur comme le faisait Mr Giovanonni ; des jouets qui feraient aujourd’hui le bonheur de collectionneurs.
Suite aux bombardements aériens mon penchant pour les beaux insignes devint plus délictueux.
Cela commença avec une «Talbot » transformée en camionnette. Visant dans l’Arsenal les bateaux de la Kriegsmarine, les aviateurs US avaient amputé l’église de son clocher et bien amoché la « Talbot » garée en dessous.
A l’aide d’un tournevis emprunté à mon Père, sans scrupules je fis sauter le gros rectangle émaillé bleu à diagonale blanche soudé à l’étain.
Le processus était lancé… Second insigne celui du voisin de ma tante à La Seyne. Visant cette fois les Forges et Chantiers, les « B17 » démolirent sa maison et la « Mathis » 1928. Du tas de gravats émergeait juste le bout du capot. Avant de détacher l’insigne rond je subtilisais aussi la mascotte de radiateur ; une tête d’Indien emplumé qui orne quoi aujourd’hui ?…. la calandre de my beloved «Model A » 1930 ; même si mon cabriolet aurait dû exhiber « The Flying Quail » des puristes ; mais…
Je continuais ainsi avec la série de mes larcins mineurs sur la calandre d’un camion léger « Renault » où se fixait l’insigne au petit losange émaillé en orange strié de noir de ce véhicule abandonné dans les terrains vagues de Castigneau où maintenant passe l’autoroute.
Ce « Renault » me rappelle un autre camion. Par un venteux et glacial Jeudi après-midi de 1939 je partis en tram vers la Place de la Liberté en compagnie de Maman et de ma chère tante Pauline.
Outre la baraque de « Guignol », dans l’angle N/E de la place un homme louait juste à côté des trottinettes, skiff-rameurs, vélos et autos à pédales. Mais je choisissais toujours une longue « Delage » vert-amande, dotée de pneus gonflables, frein à main extérieur et phares chromés.
Si la descente jusqu’au kiosque était facile il n’en était pas de même au retour pour remonter la lourde auto. Sur cette même Place se dressait le bel et riche immeuble « Les Dames de France », lui aussi tombé en gravats sous les bombes des boys. Dans ce beau magasin orné d’acajous vernis, de laitons polis et de tapis rouges, une fois effectués les achats prévus par Maman et Pauline je les entraînais vers le 3ièmeétage où je savais trouver le rayons des jouets. C’est là que je fus ébloui par un camion « Renault » long de 30 ou 40cm monté sur pneus, cabine bleue, benne basculante orange à manivelle, phares sur pile et roues avant pivotantes.
Face à mon émerveillement ma chère Pauline sans enfant me questionna alors: « Tu le veux ?..», mon « Oui » ne fut pas aussi rapide que la réponse de ma Mère « Tu es folle Pauline, c’est trop cher !.. ». 80 ans plus tard j’en ai toujours le regret …
Plus sérieux ; Bagni, le maçon du coin, travaillait avec sa camionnette « Ford Model A », malgré cela je fis sauter son insigne ovale, même s’il n’était pas émaillé bleu mais en métal poli des utilitaires. Dans ma rue j’admirais de temps à autres un rare et splendide break jaune et noir « Ford V8 » dont l’inhabituel « glou, glou, glou » feutré d’échappement m’intriguait. Ses flancs portaient l’inscription « Œufs, Beures, Fromages », il était sur l’Avenue la propriété de Bourguet, dont le magasin ne survécut pas non plus. Cette belle auto m’avait donné l’envie de posséder un insigne « Ford » émaillé en bleu ; je m’essayais alors sur une « Matford V8 » ; une chance pour le propriétaire, je ne pus détacher l’insigne tenu par deux pattes rabattues derrière la calandre.
Je me souviens aussi avoir eu l’insigne tarabiscoté d’une ancienne « Peugeot », le gros rond émaillé de bleu d’un camion « Berliet » avec sa locomotive stylisée vue de l’avant. Quoi d’autre ?., plus rien, de cette lointaine petite collection chapardée subsiste seulement dans un tiroir le cercle de bronze émaillé de rouge et blanc montrant une « Licorne » cabrée, emblème de cette marque.
Malgré ces petits méfaits je fus pourtant un enfant surveillé et plutôt sage comparé aux gamins turbulents de mon quartier, mais néanmoins : « Putains de minots !!!. ».
Mais la guerre continuait, impliquant pour nous l’exode vers Barcelonnette, année suivie du grand moment tant attendu de la Libération. L’Avenue, retrouvée massacrée, était maintenant ébranlée par les convois sans fin des véhicules vert-olive frappés de l’étoile blanche de l’US Army pourvoyeurs de nourrissantes rations « C » ou « U ». Half-tracks, chars, « GMC » et « Dodge » attelés de remorques, guidés par les MP à casque blanc chevauchant leur « Harley », sirène et feu clignotant rouge en fonction. Et les jeeps, ah les « Willys MB» !.., il me faudra attendre mes 44 ans pour en posséder une.
A 18 ans, en 1950 je pilote une 125 « Peugeot » neuve et en 55 un scooter « Lambretta » neuf aussi, mais toujours pas de bagnole. Fiançailles avec Anny en 56, juste avant de partir pour les djebels d’Algérie d’où je reviens indemne de justesse. Mariage en 57 suivi de la rapide naissance de Nadine en 58 ; nous sommes obligés de vendre le scooter. L’avantage c’est que ENFINje peux conduire ma première auto ; une « 4CV » âgée de trois ans d’un gris tristounet mais à toit ouvrant. Cette petite bagnole nous a enchantés lors de beaux circuits en camping autour de nos belles provinces de France.
Puis les années se sont enchaînées à grande vitesse. Naissance de Thierry en 59 suivie de décennies d’achats de bagnoles diverses : une fragile « Panhard Dyna », puis «Renault R8 », toujours d’occase bien sûr. En 1969 enfin une auto NEUVE, une confortable, nerveuse et sûre « Renault 16 ».
Après la « restauration bidouillée » d’une « Lambretta » et d’une «Katchevo » ; ayant pris de l’assurance, en 76 j’achetais et remettais à neuf mon amour de jeunesse, une « Willys MB » de 1944, un sympa petit véhicule mais clivant, car ne faisant pas toujours l’unanimité au CAAV.
C’est en 1980 que j’achetais alors la semi-épave de mon cabriolet « Ford » de 1930.
Trois ans plus tard, avec l’aide d’onéreux colis venus des bons vieux « States » et le travail du rectifieur, cette robuste bagnole nous a trimballés Anny et moi, inconscients et heureux, des confins de l’Europe de l’Est au Nord de l’Ecosse, ou du Sud Tunisien, en passant par les îles de Corse, Sardaigne et Sicile.
Depuis lors nos voitures de tous les jours seront neuves ou très récentes : « Simca 1307 S», « Renault R11 TL », « Citroën BX 16» essence, suivie de la même en Diesel, puis un break « Xsara » de la même marque.
Depuis 2006 je conduis le même break « Skoda Octavia », choisi en 4×4 pour un meilleur accès à notre bastide des Gorges du Verdon ; 13 ans plus tard, en 2019, son compteur ne marque que 85000 km. A l’hiver de ma vie pourquoi en changerais-je ?.. Ce sera ma dernière bagnole …
André MAUREL
La Seyne, Mars 2019.